Les Filles de la Charité – Le Château des Marches (1) en Savoie – 73. 1882-2012
Placé à la frontière de la Savoie, à 12 kilomètres de Chambéry, le bourg des Marches est une petite ville fortifiée du XIVème. De forme rectangulaire cette ville subsiste depuis plus de 600 ans. L’admirable panorama est à perte de vue sur les Alpes, la muraille du Granier (1938 mètres), avec un paysage de vignobles et de côteaux.
Le château est construit en 1342 pour défendre Chambéry contre les invasions du Dauphiné. Au cours de son histoire, il appartint longtemps à la famille de Bellegarde. Dans les années 1780-1790, Eugène de Bellegarde fit construire une somptueuse salle de bal, décorée par des peintres italiens. Cette salle longue de 18 mètres, large de 14 mètres et haute de 10 mètres, chef d’œuvre de l’art du XVIIIème siècle, elle occupe deux étages avec à mi-hauteur, une galerie qui en fait le tour.
Epargné par la Révolution, le château inhabité est laissé à l’abandon et se dégrade au fil du temps.
En 1830, il est mis en vente par les héritiers. Une illustre famille d’origine génoise, établie en Savoie depuis le XVIIe siècle, le Comte et la Comtesse Costa de Beauregard, achètent le château et le domaine. Ils sont séduits par le point de vue et surtout par le désir de faire du bien à une population trop longtemps délaissée.
La rigueur des Costa de Beauregard contraste avec les célèbres fêtes au château des sœurs de Bellegarde. Une branche de la famille Costa de Beauregard consacre ses biens à aider les pauvres.
En 1865, une grande vague de choléra sévit. La population connaît la misère, la maladie. Des enfants se retrouvent orphelins.
En 1868, Monseigneur Camille Costa de Beauregard fonde un orphelinat agricole de garçons au Bocage à Chambéry.
En 1874, sa soeur Alix, née le 5 juillet 1847, entre chez les Filles de la Charité et prend le nom de Soeur Mélanie.
Le Père Camille Costa de Beauregard fait appel à la Compagnie des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul pour ouvrir un orphelinat de filles aux Marches.
Le 2 août 1882, les premières Filles de la Charité arrivent dans le château des Marches pour s’occuper d’un orphelinat agricole de filles. Soeur Mélanie les rejoint par la suite. Alix et son frère modernisent le château et agrandissent les communs.
Les enfants y reçoivent l’instruction, l’éducation, la piété et l’amour. Malgré les nombreux soucis et la maladie, Sœur Mélanie est confiante en la Providence.
A l’intérieur du Château se dresse une statue du Sacré Cœur avec au-dessus une fresque d’Hercule,. L’effigie du Christ et celle d’un faux Dieu peut paraître singulier. Les Sœurs de Saint Vincent de Paul conservent ce décor païen avec leur largeur de vue habituelle.
En août 1914, soixante-douze orphelines vivent au château des Marches. Mais la Grande Guerre, éclate. La plupart des enfants sont dispersées dans des familles. La Maison se transforme en hôpital militaire. Toutes les Soeurs s’activent au service des blessés.
Le 26 octobre 1915, Sœur Mélanie Costa de Beauregard décède. Sa tombe se situe dans un jardin dominé par la façade centrale du château, façade orientée vers le Mont Granier.
En 1939 comme en 1914, l’orphelinat du Sacré Cœur est transformé, temporairement, en hôpital militaire.
Une donation est faite le 30 mai 1942 par Monseigneur Costa de Beauregard à la Communauté des Filles de la Charité des Marches avec des bâtiments à usage d’école. L’Etablissement des Filles de la Charité aux Marches obtient la reconnaissance légale par décret du 13 août 1943.
Les orphelines se sont succédées nombreuses, les locaux se sont modifiés d’année en année pour mieux répondre aux besoins.
Si la pièce d’honneur du Château était salle de bal de l’aristocratie avant la Révolution, elle est devenue salle de gymnastique des orphelines, puis hôpital militaire pendant les deux guerres. Elle a aussi accueilli des fêtes et les célébrations eucharistiques de la paroisse.
Au début des années 1970, le château devient une maison de retraite destinée à accueillir des religieuses âgées et des laïques. La congrégation gère l’Etablissement jusqu’à ce que l’évolution du secteur médico-social et l’avancée en âge des religieuses conduisent à la décision de le confier à une Association. Ce sera Santé et Bien-Etre, fondée par des personnalités lyonnaises et congréganistes. Depuis, le château abrite le Foyer Notre-Dame, un établissement d’hébergement, pour personnes âgées dépendantes, de 90 places.
Dès 1982, le relais de la gestion est passé à l’association Santé et Bien-Être, avec l’intention de gérer au mieux la transition.
Mais il faut s’adapter pour répondre aux besoins. A la longue période de l’orphelinat, a succédé le projet de la maison de retraite pour les Soeurs aînées et les personnes âgées du secteur, avec le maintien de l’accueil des plus pauvres d’entre nous : les handicapées mentales.
Que de liens tricotés par une centaine de Filles de Louise de Marillac avec le village, sa population notamment enfantine, l’institution communale et les associations locales. La plupart des Sœurs sont inhumées au cimetière des Marches, sans oublier toutes celles, encore vivantes, qui se sont dévouées au pied des tours du Château, à l’ombre du Granier, et dans le rayonnement du Sanctuaire voisin de Notre-Dame de Myans (2).
En février 2012, la Communauté quitte définitivement l’Etablissement après 130 ans de présence. Le départ de la dernière et toute petite communauté des Marches rappelle l’histoire de ce haut-lieu de la charité. L’œuvre enracinée sur cette colline se poursuit.
« La charité à la française de Vincent de Paul et de Louise de Marillac, a inspiré ici nombre de vos décisions : le souci de donner à votre accueil une tonalité familiale, l’insistance sur le respect des personnes dans le choix de vos méthodologies de soin et de vos pratiques d’accompagnement, la place donnée à l’animation, l’ouverture aux enfants du village, la manière dont vous avez voulu prendre en compte la fameuse « démarche de qualité » impulsée par les pouvoirs publics… Ce que le charisme vincentien vous a fait expérimenter ici pourrait être éclairant bien au-delà de vos murs. » extrait du discours du Vicaire épiscopal à la vie religieuse et consacrée.
La riche histoire du Château des Marches se poursuit en étant au service de la population de Savoie !
Quelques photos…
(1) Le mot « Marches » désignait jadis les frontières : limite qui bornait la Savoie contre l’Etat du Dauphiné.
(2) Notre Dame de Myans : « dans la nuit du 24 Novembre 1248, le Mont Apremont s’effondra, ensevelissant les villages alentours. Seule au milieu du désastre, la chapelle de Myans fut épargnée. Les énormes rochers et les éboulis dévalant des hauteurs s’arrêtèrent net devant la porte, alors qu’à droite et à gauche des blocs poursuivirent leur route jusque dans la plaine. La préservation étonnante de la chapelle apparut comme un véritable miracle de la Vierge. Dès lors, on vint à Myans pour supplier Notre Dame spécialement dans les épreuves, les épidémies, les fléaux. »